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Irène Théry, sociologue : « Le viol d’opportunité est au centre de l’enjeu sociétal du procès des viols de Mazan »

Dans une tribune récente, Sylviane Agacinski rappelle, à juste titre, que le procès des viols de Mazan n’est pas celui des « hommes », et que tout homme n’est pas un violeur en puissance. On le lui accorderait volontiers si toute sa démonstration ne visait pas à décrire ce procès en congédiant #metoo, comme pour revenir en quelque sorte « avant » ce vaste mouvement social. Je pense au contraire que l’on ne peut comprendre l’enjeu sociétal majeur de ce procès, et singulièrement ce qu’il révèle de la persistance du machisme ordinaire, qu’en le replaçant au sein de #metoo, où il apporte une avancée majeure.

Une phrase est au cœur du débat : « En l’espèce, incriminer la “masculinité”, c’est noyer le poisson d’une violence sexuelle sans nom dans les eaux troubles des rapports sexuels non consentis, parfois difficiles à prouver, comme le viol intraconjugal. » Si l’on comprend bien, il y aurait d’un côté le vrai viol, terrible, et de l’autre tout un ensemble de relations douteuses, où l’absence de consentement ne suffit pas à caractériser un viol. Faire le lien entre les deux serait « noyer le poisson ». Or chacun sait que c’est justement en s’aventurant dans ces « eaux troubles des rapports sexuels non consentis » et des viols « difficiles à prouver », si longtemps relégués dans l’ombre de la vie privée, et en permettant à des centaines de milliers de victimes de braver la honte et d’oser parler, que #Metoo a permis de dévoiler aux yeux de tous un véritable continent de violences sexuelles cachées.
Le désaccord se précise ensuite, quand on découvre que la présentation du procès est uniquement centrée sur Dominique Pelicot, « le principal accusé ». Pas un mot sur les 50 autres, qui sont totalement effacés de la réflexion. Un choix étonnant quand on sait que le débat sociétal actuel autour de ce procès ne porte pas sur le mari, dont chacun reconnaît aisément qu’il a commis des crimes d’une exceptionnelle gravité, mais justement sur ses 50 coaccusés. C’est à leur propos que se développe depuis un mois toute une réflexion sur les rapports sociaux de sexe, la masculinité toxique, les ressorts et les dénis du viol.
Nous retrouvons ici, une nouvelle fois, #metoo. Il y a sept ans, une nouvelle génération féministe a pris la relève de la mobilisation des années 1980 contre le viol, en lui faisant accomplir un pas décisif. Alors que nous disions naguère « quand une femme dit non, c’est non », #metoo a fait progresser la prise de conscience collective sur deux plans majeurs. Tout d’abord en montrant que le viol de loin le plus fréquent n’est pas le viol par un inconnu au coin d’un bois (comme au célèbre procès d’Aix de 1978), mais ce qu’on peut appeler le « viol d’interconnaissance », ce qui a entraîné une large réflexion sur les comportements masculins en général. Tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais les violeurs sont des hommes ordinaires, au sens où ce sont vos pères, vos frères, vos conjoints, vos curés, vos chefs, vos collègues, vos entraîneurs de sport, etc.
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